Combat numéro 1 : Uriel VS Sasurai

Uriel arrivait d'un pas pressé. Elle s'était spécialement préparée pour le tournois. Elle pensait déjà expédier un à un ses adversaires, sans discuter. Elle avait besoin d'argent, et avec un peu de chance, ses concurrents n'étaient pas aussi bien formés. Elle avançait donc d'un pas rassuré vers l'endroit indiqué sur sa carte. Un véritable continent aride, mais bref. C'était le deal. Il n'y avait rien ici. C'était complètement perdu, complètement abandonné. Même le climat semblait vouloir chasser la vie ici. Il n'y avait vraiment plus rien...

La jeune femme plissa un peu les yeux. Elle se rapprochait d'un oasis. Selon les explications, c'était ici le point de rendez-vous. Bien. Elle déposa ses affaires près des buissons, le plus à l'ombre possible et en sortit une gourde dont elle vida la moitié de son contenu. Elle crevait de chaud. C'était pas vraiment un climat adapté aux Vulcains. Même si elle avait un sang de Gaëlienne, elle avait bien laissé tout ça derrière elle, ainsi que ses petites habitudes. Elle calcula ainsi que la météo jouerait à son désavantage.

Pour être plus à l'aise, elle retira son équipement et une grande partie de son armure. Elle fit rouler ses bras mécaniques sur son dos, comme pour échauffer ses épaules qu'elle ne possédait pas. Du moins organiquement... Puis elle fit craquer son cou, dans la foulée. Elle attendait impatiemment son adversaire. Un Gaëlien, selon les rumeurs. Son entraîneur l'avait préparé, et elle n'avait pas manqué de prier Vespera, pour obtenir une quelconque bénédiction. Il était hors de question de lui laisser la moindre chance. Plus vite le combat se terminerait, plus vite elle quitterait cet endroit infâme, certainement pas fait pour elle.

Uriel plissa de nouveau les yeux. Son adversaire approchait lui aussi. Bien, que les festivités commencent. La jeune femme lui serra la main, accompagné d'un léger sourire, pour la forme. Elle avait l'habitude de se battre, et aucune pitié pour ce qui est d'attaquer ou de blesser un homme ou une femme. C'était tout pareil. Après avoir aligné des petites dizaines d'ennemis, un tournois de cette trempe, c'est qu'un échauffement non ? La jeune femme qui manquait cruellement de sympathie se contenta de lui glisser :

" Que le meilleur gagne. "

Uriel se dit tout bas que ce serait elle... Puis elle partie se placer, dans les règles de l'art. Elle n'avait pas le droit de le tuer, alors elle pensait au moins l'amocher suffisamment pour qu'il demande grâce. Elle se mit en garde, et attendait que celui-ci fasse de même.

La jeune femme pinça la bouche au contact du garçon. Elle n'aimait pas ça, entretenir un rapport physique avec quelqu'un par le biais de sa main mécanique. Encore moins un garçons et encore moins un... Un Gaëlien. La jeune femme tourna les talons pour aller se mettre en garde, avant de retirer définitivement son haut. Elle transpirait déjà, sous sa chemise. Quelle poisse. Cet endroit risquait de lui jouer de mauvais tours. Cependant, elle se mit en garde, la main serrant le manche de son épée. Ses deux autres bras à l'arrière s'étaient repliés. Elle n'en aurait certainement pas besoin pour aligner ce minable. Une perle de sueur coula depuis sa tempe sur sa joue... C'était pas bon. Pas bon du tout. Elle fronça les sourcils. Hors de question de lui laisser la moindre opportunité. Son regard inexpressif la plongea littéralement dans les entrailles du combat. C'est parti, elle y était. Tout était orchestré, tout était calculé. Tout, même ce petit village plus loin, vers lequel elle n'espérait pas se retrancher en cas de faiblesse. Le cache cache, c'était pas son truc. Elle préférait rentrer dans le tas. Du travail tout beau, tout propre. Un coup joliment placé et l'affaire était dans le sac. Le seul problème, c'était la chaleur... Et peut être le sable. Non, elle avait bien graissé tout cela. Ça faisait un moment qu'elle marchait et elle n'avait pas encore rencontré de problème avec la poussière. Ça faisait partie de ses défauts techniques après tout. Ô combien ces poids lui avaient té fatals en mission ? Et ô combien protecteurs ?

Elle lâcha un soupçon de sourire et s'élança vers son adversaire, directement de front. C'est comme ça que s'engage un vrai combat. Ils avaient trop attendu, l'impatience se lisait sur ses yeux. Elle voulait tâter du fer. De la bonne grosse ferraille, bien lourde et résonante. Remarque, son adversaire semblait équipé d'un arsenal très réduit... Un travail propre et rapide. C'est tout ce qu'elle voulait faire, avant de pouvoir sortir de ce fourneau. Elle éleva légèrement sa lame, puis d'un coup de pied fit voleter le sable à ses pieds, en direction du visage de Sasurai. Technique de lâches, mais technique tout de même. Ça n'était pas la première fois qu'elle en usait et puis après tout, pourquoi ne pas profiter de l'environnement pour interagir avec... Une poussière de sable fin s'éleva dans les airs pour aveugler son adversaire. Comment allait-il réagir ? Elle ne lui laissa pas le temps de souffler. Sa lame prolongeant son bras étendu vers sa côté fut expulsée à l'horizontale, vers le ventre de Sasurai. Soit il se prenait le coup et le combat s'arrêterait là, soit le garçon l'esquiverait et se retrouverait déstabilisé par le sable et sa chute. Uriel ne lui laissa pas le choix. Il devait être rapide, avec son arme rapprochée. De ses bras elle pourrait aisément parer une éventuelle attaque, par la force. Mais il devait être beaucoup plus rapide. Son visage se crispa légèrement. Elle mordit sa lèvre du bas, et enchaîna quelques passes portées vers ses membres supérieurs. Si seulement elle pouvait lui faire assez de mal pour qu'il abandonne... C'était sa chance. La jeune femme craignait un coup bas. Il fallait rester concentrée, redoubler de vigilance. Elle s'extirpa de l'assaut d'un pas latéral, la lame dirigée vers le cuissot de son adversaire dans le prolongement de la danse. Les deux guerriers s'étaient éloignés légèrement. L'avait-elle touchée ?

Sans surprise, son adversaire lui fonça dessus sans plus de cérémonie. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est qu’elle lui balancerait du sable à la gueule d’abord – il l’avait crue trop directe pour ça… Naïveté de sa part, car enfin, quand on est prêt à tout on est prêt à tout, n’est-ce pas ?
Cependant Sasurai avait déjà vu se battre des guerriers du temple de Vespéra, et sa mémoire lui avait permis d’en enregistrer le style de coups et d’enchaînements. L’avantage qu’on a contre un ordre guerrier rigoureux, c’est que sa technique ne varie pas énormément d’un individu à l’autre. Celle-ci était quand-même une sacrée folle furieuse. Il n’eut pas le temps de penser qu’il fallut réagir à ses coups répétés, portés avec une puissance peu commune. De toute façon il ne songeait pas à parer directement avec sa modeste dague et ses modestes bras de chair : à la force brute, il lui fallait opposer la fluidité et la rapidité. Il évita le premier coup par pur instinct de survie (sans doute aussi qu’avoir tant dû se déplacer dans le noir avait développé sa capacité à sentir les mouvements), mais reçut tout de même une balafre à l’abdomen : cela faillit le déséquilibrer totalement, mais il n'avait pas eu une formation d'acrobate en vain. Il dévia en souplesse le second coup qui vint aussitôt, à l’aide du côté cranté de sa dague qui accrocha la lame et accompagna son mouvement en l’influençant. C’est à ce moment-là que du sable entra dans ses yeux et l’aveugla suffisamment pour qu’il craignît pour sa vie. Ses réflexes et sa mémoire le sauvèrent : il se baissa en anticipant confusément l’enchaînement de coups similaires, mais faillit anticiper l’attaque finale trop tard. Par une contorsion qui lui fit mal au genou, il sauva sa cuisse de la perforation, et répliqua dans le même geste. Mais sa lame rencontra une surface dure et indifférente, et il songea que bien sûr attaquer un poignet mécanique n’était sans doute pas de la plus grande efficience.
L’assaut cessa. Le nuage de sable retombait. Ses yeux pleuraient, et il voyait trouble. Il avait sauvé sa cuisse, mais son genou ne le portait plus aussi bien. Et dire qu’il ne s’agissait que du premier assaut, et qu’elle n’avait même pas utilisé sa paire supplémentaire de bras…
D’ordinaire, Sasurai aurait considéré que la meilleure défense eût été l’attaque : avancer jusqu’à pénétrer la défense de l’ennemi, annuler l’avantage de sa portée supérieure. Cependant les deux bras repliés l’inquiétaient, ils pouvaient entrer en jeu n’importe quand et brouiller sa lecture des mouvements possibles.
Dans les quelques secondes que durèrent la trêve, les quelques secondes pour que les particules les plus denses du sable se reposent au sol, il considéra la meilleure stratégie à adopter. Les bras mécaniques étaient inattaquables au corps à corps, et l’épée donnait l’avantage dans le combat rapproché. Il ne pouvait pas attaquer à distance car cela signifierait jouer sa chance sur le lancer de son unique lame, il ne pouvait en aucun cas se le permettre. Il restait donc une seule tactique : le harcèlement. Risqué, à cause de son genou, mais il n’avait pas vraiment le choix. Et d’abord, récupérer sa vision normale.
D’un seul élan, Sasurai fit un bond, une roulade, et plongea dans les buissons. Mouais. Il avait eu de meilleures idées. Ce n’était pas comme s’il s’agissait d’une végétation tropicale dense, cela ne le dissimulait que partiellement, et surtout, surtout, ça piquait, par la verge de Grimmon !! Mais enfin, l’eau était maintenant à portée de main, et il s’en aspergea le visage, puis se tapit plus profondément dans la végétation revêche en clignant furieusement des yeux pour en évacuer les poussières. La bonne nouvelle, c’est qu’il avait sans doute réussi à décontenancer Uriel, car elle ne l’avait pas encore attaqué.
Quel est le point faible de quelqu’un qui a des bras à toute épreuve, qu’on ne peut ni parer ni affaiblir ?
Les jambes, pardi.
Sans attendre d’avoir récupéré une vision idéale il plongea de nouveau, hors des buissons cette fois, et sa roulade le fit passer bien entendu par les jambes de son adversaire, auxquelles il porta un coup de sa dague, presque en aveugle, puis continua sur sa lancée pour se mettre hors de sa portée. Une fois redressé, il resta accroupi pour pouvoir repartir dans une roulade au cas où elle serait déjà en train de le charger, la dague aux abois. La sueur rendait même le manche de cuir aux entailles croisées un peu glissant dans sa main. Grimmon fasse qu’il l’ait atteinte ! Sa plaie à l’abdomen saignait sans doute (il n’avait pas le temps de vérifier), et commençait à lui faire sourdement mal…

Uriel souffla un peu, l'espace de quelques secondes après son enchainement technique. Le temps pour son adversaire de s'éloigner suffisamment d'elle pour récupérer. Elle s'approcha doucement, sur ses gardes. Elle savait qu'il allait bondir, d'un moment où un autre. Avec sa blessure au poitrail de toutes manières, il n'irait pas bien loin... La demoiselle fit un pas en arrière, calant sa jambes pour prendre l'appui de la défense. A cet instant précis le garçon bondit, le ventre imprégné de sang. Uriel fit une grimace. Il roula tel un clébard entre ses jambes alors qu'elle s’apprêtait à parer un coup au thorax. Surprise. Elle contracta machinalement ses abdos pour ne pas hurler de douleur. Une rage féroce envahissait ses poumons. Elle lâcha un râle étouffé, l'entaille la déstabilisa. Oh elle n'était pas très profonde, mais suffisamment bien placée pour que le sable s'y infiltre et que la chaleur la brûle de l'intérieur. Une chance qu'il n'ait pas atteint le tendon, sans quoi ce serait finit pour elle... Le chien ! Ça faisait bougrement mal ! La jeune fille desserra les dents. Assez de sang coulait le long de sa cheville pour tapisser le sable de rouge à ses pieds.

Bien. Elle tenait encore debout, c'était déjà ça. Elle ne comptait plus le laisser filer à présent. Elle fit un pas titubant, puis chargea férocement vers le garçon tout en évoquant Vespera. Sa lame légèrement baissée, elle la fit s'élever d'un coup sec dans la transversale. Pas un coup au hasard. Elle utilisait toute la force de ses muscles et de ses bras métalliques pour déstabiliser son adversaire. Il était obligé de parer. Elle profita de cet instant précis pour attraper de ses deux mains arrières celles du garçon. Ses poignes d'acier maintenaient fermement les poignets de Sasurai, alors qu'elle se laissa tomber sur lui, abandonnant tout le poids de sa ferraille sur le Gaëlien. Dans l'élan, il fut renversé en arrière, la jeune femme continuait de bloquer ses membres sur le sol, totalement allongée sur sur rival. La position ne devait pas être des plus agréable, d'autant plus qu'elle resserra son emprise. Ses bras devaient commencer à être douloureux. De son autre main libre, elle caressa du bout des doigts l'entrée de la plaie de Sasurai, et la pointe de sa lame se baladait vers le bas de son bassin. Un sourire narquois se dessina sur son visage, qu'elle rapprocha légèrement du sien. Encore un peu et elle y plongeait le poing. Serait-ce suffisant pour l'effrayer ?

« Allez, abandonne. »

Le sang sur la cheville d'Uriel continuait de couler, mais elle ne montrait pas de signe de douleur. Elle lui en voulait de l'avoir esquinté. Même si tout est possible dans ce genre de tournois, elle n'aimait pas perdre la face, ni montrer de signe de faiblesse. Pas elle, pas Uriel ! Elle proposait un marché équitable. Je te laisse la vie sauve, tu me laisse mon l'or. Moi je m'offrirai de jolis trésors, et toi tu rentreras chez toi, à Salt'Ocean. Salt'Ocean, bon sang ! Sa main se resserrait une fois.

Bien bien bien... Qu'allait-il faire maintenant ? Un seul mouvement, une seule gesticulade et elle le transperçait depuis sa cicatrice. Les mecs, c'est soit-disant solide mais ça pleure pour pas grand chose... Elle s'était mise dans la même position contre son premier adversaire, en tant que milice. Fallait croire que ça suffisait à effrayer un Vulcain, un jeune Vulcain. Mais ce Gaëlien là, il le voulait son pactole. Par quoi diable était-il motivé pour trouver autant d'énergie ? Uriel venait de resserrer son emprise. Il n'avait plus qu'une chose à dire : j'abandonne. Elle n'aimait pas particulièrement faire prolonger la douleur, et les plaisirs sadiques ne l'intéressaient pas particulièrement. Elle avait juste besoin de thune, et au plus vite. Le Gaëlien lui avait offert une autre alternative. Un glorieux coup de tête là où ça fait mal. Pile entre l'arcade et le nez. Elle sentit monter le sang. A ce moment précis, il lui offrit un seconde coup beaucoup plus féroce, qui la fit saigner de coup sûr. Deux petites goutes s'échappaient déjà. C'était pas grand chose, mais ça faisait quand même un peu mal...

" C'est inutile... "

Les yeux férocement accrochés à ceux de son adversaire. Son bassin s'était légèrement échappé de l'étreinte de son épée. Elle n'y avait même pas pensé elle même. Un choc d'une telle grossièreté ne pouvait se rentre utile que dans les combats de rue. Bien, c'était donc à ça qu'elle avait à faire ? Honorable... Aucun problème, elle avait été formée pour combattre les rebelles dans son genre. Les chiens des rues... Aussitôt fait, il proféra quelques injures qui n'allèrent pas heurter sa sensibilité. Il eut fallut qu'Uriel ne grandisse pas chez les Gaëliens pour ce faire. Elle esquissa un sourire, puis d'une poigne solide, meurtrit la main de son adversaire. Elle resserra fortement ses deux machines pour écraser ses os. Un cadeau de départ... Elle se releva enfin, afin de lui laisser sa chance, et s'arma de son épée comme au tout début. Elle fixait le jeu de jambe de son adversaire. Peut être était-il temps d'employer les bonnes vieilles méthodes ? Et de récupérer un peu de savoir faire pirate ?

Elle eut un hochement de la tête. Il voulait ce trésor, et elle aussi. Pourtant, hors de question de le départager, et hors de question de laisser s'échapper un mec qui pourrait l'avoir reconnue. D'un coup de main mécanique, elle alla délicatement essuyer son nez qui laissait encore couler quelques goutes de sang. Il l'avait bien eu, mais ça faisait parti du jeu. La première fois qu'elle s'était battue de la sorte, c'était en plein hiver, à Hephaïlia, devant les remparts. Oh, un beau combat cela dit, et elle s'était pris de sacrées mandales. Des coups massifs qui vous paralysent plusieurs semaines et vous laissent des marques définitives. Il suffisait de voir le corps d'Uriel pour le comprendre. Buriné comme une véritable statue encore en construction... Le visage était intact, gloire à Vespera. Cela dit, de cette prise, elle avait littéralement défoncé les poignets de son adversaire, ainsi que ses avant-bras. Elle l'avait poussé à l'abandon, et le pauvre diable fut lynché plusieurs mois durant. La gamine quant à elle, fut promue bien assez tôt. La tactique idéale quand on combat dans la neige, aussi bien que sur la glace ? Surveiller les jeux de jambes. Ne pas rester immobile. Garder à l'esprit que l'adversaire peut frapper à tout moment, et être plus rapide. Seulement en plein combat, être plus lent signifie mourir. Elle n'en avait pas envie. Tout comme elle se refusait de perdre. Ainsi elle s'arma , redressant son épée à hauteur de la poitrine en position de garde. Ses bras arrière se replièrent sauvagement sur son dos, silencieux.

D'un petit hochement de tête, elle invita Sasurai à approcher. Pourquoi ne pas lui laisser l'occasion de charger pour une fois ? Voir ce qu'il avait dans le ventre... Elle ne connaissait rien de ses assauts, sinon l'entaille furtive qu'il lui avait administré plus tôt et qui finalement, ne l'empêchait pas de tenir debout. Ce n'était pas bien profond. Elle ne saignait plus d'ailleurs. Le sang avait coagulé et légèrement séché. Une chance qu'un tel endroit offre ce genre de possibilités. L'un ou l'autre, de toute manière, allaient perdre le duel s'ils perdaient trop de sang. La chaleur leur ferait perdre la tête, et la vulcaine serait beaucoup plus vulnérable à cette altération d'état, évidemment. Elle plissa les yeux et se concentra sur son adversaire. Par quoi allait-il commencer ?

Bon. Il fallait avouer que la gamine était coriace. Sacrément coriace, même. Son visage lisse encaissa ses coups presque sans sourciller, avec beaucoup moins d’effet qu’il l’avait espéré. Comment diable les entraînaient-ils, leurs gamins, à Héphaïlia ?
Elle lui fit justice de son idée de génie (tu parles) en le relâchant charitablement. En lui broyant les poignets au passage, ceci dit. Il hurla pendant que se resserrait l’étau, et se dit qu’il aurait peut-être mieux fait d’abandonner, finalement… Il se sentait sacrément moins fier qu’une minute plus tôt, là.
Quand elle le laissa et se posta pour attendre son assaut, il ne se releva pas tout de suite. Le soleil violentait ses yeux et son front, et il réalisa qu’il avait vraiment soif. S’était-il vraiment débrouillé pour lui infliger une seule blessure mineure ? Pourquoi était-il si mal en point ? Il se traita d’imbécile fini. Il aurait sans doute dû partir tout de suite au galop vers les ruines, où il aurait eu l’avantage. Maintenant avec ses mains fichues, c’était un peu tard.
Finalement il se redressa, lentement, à peine capable de ramasser son poignard. Inutile de chercher à le tenir normalement. Il le prit entre ses dents : l’image même de la piraterie ! Son père trouverait certainement cocasse s'il pouvait le voir ainsi. La situation lui rappela les jeux qu’il faisait avec les acrobates de son ancienne troupe, où ils s’imposaient le handicap de ne pas se servir de leurs bras pour faire toutes sortes de tours… Là c’était mieux, il pouvait encore se servir de ses coudes, après tout ! Toujours penser aux avantages.
*Oui parce que sinon je vais directement aller me suicider dans cette mare. Se noyer dans un désert, c’est plutôt pas mal comme fin*
Une autre voix dans sa tête lui dit d’arrêter de faire l’imbécile et de se concentrer sur ce duel.
La douleur de sa blessure, un instant éclipsée par celle des poignets, commençait à se faire de nouveau sentir, pulsant au rythme de ses battements de cœur. Il décida purement et simplement de l’ignorer, l’excitation du combat aidant, et de donner tout ce qu’il avait dans le prochain assaut.
*D’abord, montrer ses bonnes manières : il faut toujours rendre la politesse.*
Il bondit vers la Vulcaine en lui balançant un maximum de sable à la tête avec ses pieds, histoire de l’aveugler et peut-être d’encombrer ses satanés bras mécaniques.
*Ensuite, être civil et courtois : se montrer sous son meilleur jour.*
Sasurai feinta sur la gauche en lui envoyant du sable de ce côté-là et se jeta à sa droite pour la contourner du côté où elle tenait son épée, histoire qu’elle ait le minimum de maniabilité en combat rapproché.
*Enfin, faire bonne impression : laisser un souvenir durable et agréable.*
Il se trouvait à ce moment très près de la jeune fille, assez pour faire un mouvement balayant du pied vers ses jambes, son point faible le plus probable, afin de les faucher.
*En sus, montrer sa noblesse : signer la rencontre de sa touche personnelle.*
Il était à présent dans son dos, grâce au pas final d’un enchaînement qui servait ordinairement à l’esquive quand on se faisait attaquer de front. Ou pas de danse typique du peuple Gaëlien, ça marchait aussi, il s'agissait tout à fait des mêmes mouvements.
Se souvenant au dernier moment que ça n’était pas un combat à mort, il retint le coup porté du poignard toujours serré entre ses dents, et qui visait l’omoplate. Mais cela ne servit à rien de toute façon puisqu’il rebondit sur du métal : encore ces greffes ! Accompagnant son propre mouvement qui dérapait vers le bas, il lui infligea une balafre là où sa chair remplaçait la ferraille. Guère profonde puisqu’il venait de la déséquilibrer afin qu’elle tombât vers l’avant. Mais bon, c’était tout de même assez satisfaisant.
Sur ce, il décida que l’étaler par terre n’était pas un dommage suffisant, et, ramenant sa main gauche inutilisable contre sa propre poitrine ensanglantée, ponctua la chute de la jeune fille d’un violent coup de coude au bas du dos. Les coups sans élan dans combats rapprochés, c’était sa spécialité.
Tant qu’il y était, il souleva plus de sable en raclant frénétiquement le sol, toujours dans l’espoir d’enrailler sa ferraille. Il prit alors conscience de sa propre respiration, qui était lourde et précipitée. Il commençait vraiment à s’affaiblir… Reculant de quelques pas pour se mettre hors de portée d’une réplique immédiate, il attendit de voir les résultats de son assaut. Il comptait bien ne plus se laisser attraper aussi facilement, car il ne pourrait plus encaisser d'attaque de plein fouet à présent. d'autant que son coup de coude devait normalement lui infliger une douleur handicapante...

La jeune femme tenait sa garde, mais la tenait très mal. Il fallait croire que le coup placé précédemment par Sasurai avait fait son petit effet. Non pas qu'elle n’eut pas la volonté de tenir, mais ses yeux se fermaient tout seul. Elle avait beaucoup de mal à les garder ouvert, et forçait sur ses paupières. La cible était trouble, c'était difficile à dire... Peut être s'était-elle relevée trop brusquement ? Uriel posa sa main sur son front quelques secondes et ferma les yeux. Elle avait la tête qui lui tournait. C'était bien le moment... Ses deux mains empoignèrent le manche de sa lame. Cette fois, elle n'allait pas charger. Elle ne le pouvait pas. Ses jambes lui jouaient des tours. Elle fut prise d'un léger spasme mais garda son sang froid. Elle avait un peu peur, cette fois-ci. Alors elle décida de le laisser approcher. Elle n'allait pas lui laisser sa chance, oh non. Mais si elle fonçait maintenant, elle se ferait avoir comme un taureau dans les jeux d'arène de Salt'Ocean. Elle serra les dents, puis ses poings sur la sangle en cuir... Ressaisis toi Uriel, bon sang ! Elle aurait voulu boire la tasse quelques secondes et se réveiller une bonne fois pour toutes, mais ses paupières continuaient de lui altérer sa force. Ses tempes battaient en rythme, comme des tambours de guerre. Un peu de sueur en sortait, pour se mêler à la poussière sur son visage, marquant sa peau noircie par le combat et le sang de quelques trainées blanches.

« Bon sang si il remarque dans quel état je suis s'en est finit. » dit-elle tout bas.

Sasurai s'était relevé ? Très bien, elle allait pouvoir passer aux choses sérieuses, et la danse des lames allait pouvoir reprendre. C'était lui ou elle. Elle se dit qu'elle n'aura pas expédié le combat, mais qu'elle avait trouvé un guerrier à sa hauteur, largement. Car bien qu'elle eut explosé ses poignets, celui-ci restait debout, et affrontait de nouveau son regard. Décidément, lui aussi avait besoin d'argent ! Et merde, il était déjà reparti. Sa silhouette un peu trouble se rapprochait à vue d'oeil, et Uriel avala sa salive. Elle reprit son souffle et d'un coup sec para évidement le premier coup, tout en relevant un de ses bras arrière pour empêcher le sable de rentrer dans ses yeux sans se désarmer. Très bien, sauf que son poignet venait de se repasser une sacrée pelle de caillasse, et désormais difficile à tourner. Le mécanisme grinça légèrement lorsqu'elle voulu le rabattre sur son dos. Ce n'était pas bon. Pas bon du tout... Mais au moins, elle avait un coup d'avance sur lui maintenant. Elle profita de son jeu de jambe excentrique et de ses allers retours droite-gauche pour assener une attaque horizontale pendant son déplacement, le but étant 1, de l'empêcher de trop se rapprocher et d'annuler son attaque au corps à corps, 2 de le blesser s'il avait fait la bêtise de la contourner de front. L'épée penchée vers le bassin, et n'ayant peu de marge de manœuvre, elle se retourna avec lui, mais se prit quand même un coup malheureux dans le dos. Un coup comme ça, elle ne sentait pas grand chose. L'acier circulait tout au long de sa colonne, et dans le feu de l'action, quand il s'agit de survivre, on oublie bien vite la douleur. Pas assez rapide, la Vulcaine ! Non, pas assez rapide, mais suffisamment prévoyante pour que sa main encore valide dans son dos empoigne un bras du Gaëlien et le ramène à elle avant sa chute. Oh il voulait jouer du coup de coude ? Très bien. La demoiselle fit un pas sur le côté, serrant ses dents de toutes ses forces. L'avantage d'une épée bâtarde comme celle là, c'est qu'on la passe facilement d'une main à l'autre. Elle l'envoya à son membre « dorsale » encore valide. Elle parvint à garder son équilibre, puis de ses deux mains « normalement » placées attrapa le bras agressif de Sasurai. Sans avoir à jouer de ses jambes, elle le retourna littéralement de cent quatre-vingt degrés vers l'arrière. C'était un enchaînement appris au service militaire, pour parer une attaque de couardise, souvent employée contre le banditisme. Un coup net et sec. Le bruit était infâme, mais il était inutile de le menacer d'avantage. Lorsqu'elle l'avait fait précédemment, il lui avait clairement répondu qu'il irait jusqu'au bout, quitte à se faire éliminer.

« Qu'est-ce que tu croyais pouvoir faire avec ça, hein ? »

Alors qu'elle le maintenait encore à elle fermement et cette fois, il n'y avait pas d'autre issue. Sa main la plus haute abaissa sa lame précédemment envoyée. Elle plongea la pointe de son épée vers l'épaule du Gaëlien. Pas l'épaule du bras meurtris, mais l'autre. Celle qui semblait encore vulnérable et décidément la plus accessible. Elle n'avait pas touché le cœur, ni atteint un quelconque organe, afin de ne pas être disqualifiée, mais si elle remuait plus loin, s'en était finit... Elle ressorti Draumur de la chair de son adversaire sans le quitter des yeux. Elle ne souriait pas. C'était désagréable, comme sensation... La jeune femme recula légèrement. En avait-elle finit avec lui ? Elle jugea qu'il n'était plus en état de se battre, mais avait-elle réellement bien organisé sa manœuvre ? Elle ne baissait pas sa garde.

Sasurai manqua s'évanouir à cause de la douleur violente de son bras tordu. Il était bon pour des mois de rétablissement - s'il récupérait jamais son bras dans un bon état. Déjà terrassé par ce choc, il sentit à peine l'épée qui s'enfonçait en lui, et mit un moment à réaliser ce qu'il se passait. Quand on son adversaire le lâcha, il tomba mollement au sol, la vision trouble.
Oscillant entre un engourdissement bienheureux et une souffrance suraiguë, il devait rassembler toute son énergie pour ne pas crier ni sombrer dans l'inconscience. Au bout de ce qui lui sembla un long, long moment, il réalisa que son front reposait sur le sable devant ses jambes repliées, et parvint à redresser son buste pour chercher la gamine des yeux.

"Je crois que je vais déclarer forfait", articula-t-il d'une voix tremblante avec une grimace qui se voulait un sourire ironique.

Il haleta encore un moment, retombé dans la poussière, et murmura pour lui même :

"Je crois qu'il va me falloir une ou deux greffes à moi aussi, après ça..."

Le combat était fini. Et il avait perdu. Enfin, il ferai mieux la prochaine fois. Dès qu'il se serait évanoui.

Combat terminé